Outliers, The Story of Success – le succès est-il le seul fruit du talent ?
Avant-propos
Le lancement du projet Anantys s'accélère depuis mon départ de Weborama en juin dernier et la création de la société en juillet. Je profite du mois d'août pour peaufiner le site vitrine, harmoniser le design du portail avec notre nouvelle charte, mais aussi (surtout ?) pour me nourrir de livres et d'essais sur l'entrepreneuriat, la finance comportementale ou, plus largement, la notion de succès.
Ce billet inaugure donc une série de revues de lectures, qui, je l'espère, pourra intéresser les quelques personnes qui tomberont sur ces lignes.
Outliers : le succès est-il (seulement) le fruit du talent ?
C'est la question centrale du livre. Peut-on légitimement se targuer – quand on a la chance (!) – de jouir d'un succès reconnu, de ne « le devoir à personne » ? En d'autres termes, le succès, dans sa forme la plus spectaculaire, est-il réellement indépendant de tout contexte, de toute opportunité ou de facteurs favorables aléatoires ?
L'auteur, Malcolm Gladwell, se penche sur cette question avec rigueur. Tel un investigateur minutieux, il prend des dizaines d'exemples variés, couvrant volontairement tous les cadres possibles où le succès – et parfois même le génie – peut rayonner et nous impressionner : la musique avec Mozart et les Beatles, l'informatique avec Bill Gates, le sport, mais aussi la science, avec notamment le cas d'Oppenheimer.
L'enseignement que l'on découvre au fil des chapitres – chacun se focalisant sur l'un de ces thèmes – est que, si le talent, l'intellect et la motivation sont des prérequis évidents au succès, ils n'en sont pas moins insuffisants à eux seuls pour l'expliquer.
L'opportunité d'une pratique intensive, le prérequis universel
Pour qu'un succès flamboyant tel que celui de Bill Gates ou des Beatles se réalise, il faut (et l'auteur le montre, faits à l'appui) que les protagonistes puissent bénéficier d'une opportunité de développer leurs compétences à une échelle décuplée par rapport à leurs contemporains.
Car – le livre le rappelle – pour atteindre un niveau d'expertise dans un domaine, c'est-à-dire maîtriser un sujet, un art ou une discipline à un niveau d'excellence (meilleur que 99 % de la population, si l'on schématise), il faut totaliser au moins le seuil critique de 10 000 heures de pratique. C'est-à-dire environ dix ans de développement continu de ladite compétence. Mais surtout : il faut pouvoir le faire avec un temps d'avance notable sur ses contemporains. En d'autres termes : être parmi les premiers à totaliser cette quantité d'expérience, pour devenir le meilleur à un instant t – instant qui devra lui aussi coïncider avec une fenêtre optimale, où un changement est à l'œuvre.
Ainsi, une expertise en avance sur son temps coïncidera avec un momentum conjoncturel – une attente du marché, dirait un financier. Et c'est là que jaillit le succès éclatant.
L'exemple Bill Gates est parlant. En 1971, Bill Joy — figure majeure de BSD Unix, auteur de vi et csh, cofondateur de Sun Microsystems et plus tard co‑auteur de la spécification du langage Java — programme déjà, à l'université, sur terminal en time‑sharing, quand beaucoup utilisent encore des cartes perforées. Bill Gates, lui, y accède dès 1968, collégien à la Lakeside School, via un téléscripteur relié à un système de time‑sharing. Concrètement, il code au clavier et à l'écran avant presque tous ses contemporains.
Pour les Beatles, c'est tout aussi percutant :
En 1960, alors qu'ils n'étaient encore qu'un jeune groupe de lycéens à leurs débuts, ils ont été invités à jouer à Hambourg, en Allemagne. Les clubs y programmaient de longues sessions où les groupes devaient jouer en continu toute la soirée. Les Beatles y ont enchaîné un nombre record de concerts.
Les Beatles feront au total cinq séjours à Hambourg entre 1960 et 1962. Ils y joueront environ 270 nuits en l'espace d'un an et demi. Au total, avant leur percée, ils auront joué près de 1 200 concerts – une densité de scène que peu de groupes atteignent sur l'ensemble de leur carrière.
L'argumentaire montre donc, avec ces exemples et bien d'autres, qu'il s'agit bien sûr d'avoir l'intellect, l'énergie et la motivation, mais surtout de pouvoir bénéficier – au moment opportun – d'une pratique intensive du sujet, sans commune mesure avec ses contemporains.
Au bout du compte, le livre montre qu'aucune trajectoire de succès majeur ne se résume à la seule qualité ou compétence de son protagoniste. Elle résulte, dans tous les cas imaginables (sport, musique, science, entrepreneuriat, ...), de l'opportunité offerte au protagoniste de développer massivement ses compétences.
Le succès serait donc une fonction de la compétence, d'une pratique intensive de celle‑ci et d'une fenêtre temporelle optimale au sein d'une époque donnée. En d'autres termes, il faut, quoi qu'il en soit, bénéficier d'un hasard favorable.
On n'ira pas jusqu'à conclure que la réussite extraordinaire d'un tel n'est due qu'à la chance – ce serait bien sûr totalement faux (tous les camarades de Bill Gates ne sont pas devenus des empereurs du logiciel).
Mais on comprend, lorsqu'on referme Outliers, qu'un tel type de succès, quel que soit son cadre, est impossible à réaliser sans avoir la chance de naître au bon moment et au bon endroit.