Skip to content
Menu
Alexis Sukrieh
  • Lectures
  • Contact
Alexis Sukrieh

Le parfum des fleurs la nuit

Posted on 22 janvier 20214 mars 2022

Leïla Slimani signe ici un livre qui n’est pas ce qu’il devrait être. En toute logique, ce texte devrait nous rendre compte d’une nuit d’enfermement volontaire dans un musée vénitien, des œuvres d’art qui dorment en ses murs, de l’histoire du lieu, de son architecture, de Venise elle-même, peut-être, ou encore, de l’art contemporain.

C’est du moins ce qu’on est en droit d’attendre en lisant le sous-titre de l’ouvrage : « Ma nuit au musée » ou quand on découvre l’introduction du court récit (149 pages en petit format), où Leïla Slimani nous raconte que cette expérience, cette « performance » comme elle s’amuse elle-même à dire avec dérision, est une commande de son éditrice. Une commande qu’elle n’aurait jamais dû accepter, dit-elle, puisqu’elle est convaincue que toute initiative en littérature se doit d’être une nécessité si l’on veut qu’elle soit fertile.

Pourtant, elle accepte, part pour Venise, et s’apprête à dormir une nuit dans des conditions spartiates, en plein cœur de la Punta della Dogana, la « pointe de la douane », vaste et splendide bâtiment du XVIIe siècle désormais transformé en musée d’art contemporain.

Le parfum des fleurs la nuit
Le parfum des fleurs la nuit (Stock, 149 p.)

Mais, disais-je donc, ce livre n’est pas ce qu’il prétend. D’art contemporain, l’autrice en parle peu, très peu, et seule une poignée d’œuvres retiendra son attention. Elle dira d’ailleurs qu’elle n’y connait pas grand-chose, à l’art, et s’interroge par honnêteté avec le lecteur, sur ce qu’elle pourrait d’ailleurs bien en dire.

Non, l’écrivaine ne parle quasiment pas d’art, très peu de Venise, et tout aussi peu de la Punta della Dogana. Elle partage son ressenti, sa vision de l’écriture, témoigne de son rapport à l’écrit, intimement lié à son rapport au monde, de son identité complexe d’émigrée, de la double-identité devrais-je dire, qui s’accole à chaque personne née dans un pays et vivant dans un autre. Elle parle de son père, de la fin de sa vie noyée dans la mélancolie et le mutisme sobre, de son arabité, qu’elle a fuie par bien des côtés, et qu’elle aime aussi par tant d’autres. Elle parle de la complexité d’être soi, et rend compte de son expérience singulière d’autrice.

On regrettera peut-être que le texte regorge de tant de citations (certes pertinentes et bien amenées) : leur surabondance alourdit parfois la lecture et donne une impression de besoin démonstratif, à mon sens inutile.

Les passages sur l’écriture (nombreux) sont peut-être plus subjectifs, notamment ceux où Leïla Slimani nous explique que l’écriture est une sorte d’envoutement, d’abandon total, de sacrifice social. Difficile d’adhérer à cette idée lorsqu’on lit peu après qu’elle a tellement voyagé, qu’elle en oubliait parfois dans quel pays elle dormait le soir, au fond de sa chambre d’hôtel. Est-ce être sacrifié et isolé socialement que de courir le monde d’aéroport en aéroport ?

Mais ce point n’est pas essentiel. Le reste, ce qui rend compte de l’introspection, de la transcendance des blessures, de l’empathie de l’écrivain, tout cela semble parfaitement juste.

Enfin, on est touché par la sensibilité de la plume, par les mots justes qui jaillissent par endroits, sur la condition de femme dans ce monde qui lui est hostile (« Nous sommes du sexe de la peur », dit Despentes), et surtout, cette très belle réflexion sur la nature du peuple arabe, et son lien ancestral à la vie nomade.

La culture arabe et notamment la poésie sont imprégnées par le nomadisme, par le fait de vivre au jour le jour. Les paysages de sable et de vent, qui sont le berceau de la culture musulmane, nous rappellent sans cesse que l’homme se fourvoie lorsqu’il croit laisser des traces. […]

On me répétait […] cette phrase attribuée au Prophète Mohamed : « Sois dans ce bas monde comme un étranger ou un passant. Comme un voyageur qui fait une halte et compte ta propre personne parmi les gens des tombes. »

pp. 96/97

Un texte court, qu’on lira d’une traite, au cœur de la nuit.

Vous avez apprécié cet article ? Découvrez GAFA Succubat, mon dernier roman.

Une immersion dans le monde de la tech, une plongée au cœur des GAFA

Dans ce séminaire informatique organisé par Amazon, tous ces geeks sont excités, fiers d’être là, aux premières loges. Pas Alban. Il les regarde, ses semblables, et s’enfonce dans des pensées amères.

Disponible en Kindle et livre broché (341 pages).

Voir le livre

réseaux

  • Twitter
  • Facebook
  • LinkedIn

Pour toute demande de contact, n'hésitez pas à utiliser le formulaire dédié. Ce site est personnel et n'engage que moi.

© 2022 Alexis Sukrieh

Abonnez-vous

Recevez un email lorsqu'un nouvel article est publié et ne manquez aucune date de dédicaces.

©2023 Alexis Sukrieh | WordPress Theme by Superb WordPress Themes