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Alexis Sukrieh
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Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction, d’Emmanuel Glais

Posted on 18 février 202018 février 2020

Un après-midi d’août en 2019, alors que je profitais du rayonnement puissant du soleil en Sardaigne, sur la terrasse d’une petite maison de location, avant de repartir à quelques kilomètres de là sur une crique presque sauvage, je laissais mon pouce gesticuler comme à son habitude sur l’écran lisse de mon smartphone.

Le défilement des tweets provoquait en moi un ramollissement de la cervelle – déjà bien entamé par la chaleur méditerranéenne – duquel je n’arrivais pas à m’extraire. Ma passivité intellectuelle extrême devant cet état léthargique (trop habituel et ordinaire à mon goût) était à deux doigts de me pousser à verrouiller l’appareil et à le jeter d’un geste exaspéré sur la table plastique de la terrasse, quand je suis tombé, je ne sais comment, sur un tweet qui capta mon attention.

C’était un thread : je rebondissais d’un aphorisme à l’autre, accroché par les tournures élégantes, le style incisif et la voix particulière que j’entendais en lisant ce texte.

PREMIER TRIMESTRE, dernier fil

Encore un lundi pour rien. Trop de gens qui n'ont rien pour moi se confient sur leurs problèmes de téléphones intelligents. Même les vieux s'y mettent. Ils pestent contre l'obsolescence précoce d'engins qui coûtent deux fois le minimum vieillesse.

— Lipogramme en A (@ALipogramme) September 5, 2019

Bientôt, j’avais lu l’équivalent d’une micronouvelle habilement ciselée en tweets. L’ensemble n’en était que plus percutant. Intrigué, et admiratif devant l’idée, je me suis intéressé au compte derrière ce corpus disséminé sur le réseau social. Je découvris alors qu’Emmanuel Glais, l’auteur, avait produit tout un manuscrit et qu’il cherchait un éditeur.

Comme une cohorte massive d’aspirants et d’aspirantes auteur(e)s, il se heurtait à la violence froide et silencieuse des refus en cascades.

J’ai donc rencontré Emmanuel Glais sur Twitter, cet été 2019. Nous avons commencé à échanger, à parler de la difficulté de se faire éditer une première fois, et de fil en aiguille, la confiance s’installa, et Emmanuel me fit la gentillesse de m’envoyer son manuscrit sous une forme complète et plus lisible que ses threads Twitter.

Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction raconte le quotidien d’un jeune homme esseulé, Hubert-Félix qui aspire à trouver sa voie dans une société qui lui échappe, dans un quotidien dans lequel il ne se reconnait plus, ou si mal.

Quasi Lipogramme en A-minor, ou la reproduction (couverture)
La réintroduction, Emmanuel Glais — Couverture, éditions Maïa

C’est décidé, il va se lancer, et créer une activité qui conjugue utilité sociétale, engagement éthique et convictions personnelles : Hubert-Félix va collecter les appareils électroniques oubliés chez ses voisins, et compte ainsi créer une économie salvatrice qui, d’une part contribuera à créer un cercle vertueux autour de lui, et d’autre part, accessoirement, lui permettra de vivre.

L’idée est noble, mais est-elle efficace, est-elle productive, au sens moderne : permettra-t-elle au narrateur de ce journal de bord de gagner sa vie ? L’écoresponsabilité porte-t-elle un réel pouvoir de développement économique ? Rien n’est moins sûr.

Cette initiative sert de prétexte idéal à l’auteur pour promener son personnage d’habitations en habitations, et nous permet ainsi de nous faire découvrir une galerie de portraits. Tel un anti-VRP, Hubert-Félix frappe aux portes, sonne, s’introduit, du mieux qu’il peut dans le quotidien de ses voisins. Il collecte, difficilement, les appareils jadis luxueux, aujourd’hui poussiéreux, et sert de catalyseur à l’observation de la vacuité omniprésente de notre société de surconsommation. Un produit en chasse un autre, nourrissant le trou noir éternel et insatiable de la pollution humaine. Hubert-Félix, vaillante goute d’eau bien dérisoire face au torrent de merde que nous générons tous, auquel nous contribuons tous, complices serviles des Black Fridays, des soldes, des fêtes de Noël et autres promotions d’été, nous renvoie à la question qui me semble être celle de notre génération : exerçons-nous un métier porteur de sens, en adéquation avec nos convictions personnelles ? À l’heure où la très grande majorité des métiers qu’on nous propose servent directement ou indirectement à accroitre la puissance dévorante du consumérisme, comment se situer, comment revenir au concret, à l’utile, au profond ? Est-ce seulement encore possible ?

Cette histoire est celle de la vanité du panache écoresponsable, de la beauté du geste, une injonction à réfléchir un instant sur la possibilité (ou non), de s’intégrer dans un monde qu’on voudrait fuir.

Cette mission semble être la seule quête qui intéresse encore le narrateur, lui plus seul que jamais, vient de quitter sa compagne, et s’étonne de l’acceptation douce de cette dernière face à son envie de rupture.

Nos coprs ne se mêleront plus, et donc ? Nos bouches éviteront dès lors de se communiquer des gentillesses un peu forcées. Je me sens libéré d’un poids. Plus de SMS stupides, plus de soirées chez ses copines, plus besoin de montrer d’intérêt pour ses bouquins de science-fiction… ni de mimer le big love chez Burger King.

Un décalage profond habite le héros avec son environnement, au point que même ses parents, dans une scène puissante qui surprend, amuse et intéresse le lecteur, se retrouvent à leur tour exclus, d’une manière inattendue, du référentiel du narrateur. Seul, face à ses convictions, perdu dans la jungle du quotidien, Hubert-Félix devra trouver un sens à son intégration sociale, et peut-être retrouver sa place parmi ses semblables qui lui semblent si étrangers, tous autant qu’ils sont.

Emmanuel signe un roman au style enlevé, claquant, aux tournures précises. Une lecture agréable, rafraichissante, assurément originale.

On sent que l’auteur est un amoureux du style, et peut-être, le devine-t-on amateur de l’Oulipo et de ses contraintes, car le texte de La réintroduction est écrit sans la lettre A sur la majeure partie de son corpus. Un joli tour de force, qui contribue certainement à ce style si particulier, à la tonalité de cette voix qu’on entend encore, lorsqu’on termine la lecture des aventures ordinaires et extraordinaires d’Hubert Félix.

Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction est le second roman d’Emmanuel Glais, publié aux éditions Maia.

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