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Alexis Sukrieh

Site dédié à mes travaux d'écriture

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Lectures

Le parfum des fleurs la nuit

Publié le 22 janvier 2021

Leïla Slimani signe ici un livre qui n’est pas ce qu’il devrait être. En toute logique, ce texte devrait nous rendre compte d’une nuit d’enfermement volontaire dans un musée vénitien, des œuvres d’art qui dorment en ses murs, de l’histoire du lieu, de son architecture, de Venise elle-même, peut-être, ou encore, de l’art contemporain.

C’est du moins ce qu’on est en droit d’attendre en lisant le sous-titre de l’ouvrage : « Ma nuit au musée » ou quand on découvre l’introduction du court récit (149 pages en petit format), où Leïla Slimani nous raconte que cette expérience, cette « performance » comme elle s’amuse elle-même à dire avec dérision, est une commande de son éditrice. Une commande qu’elle n’aurait jamais dû accepter, dit-elle, puisqu’elle est convaincue que toute initiative en littérature se doit d’être une nécessité si l’on veut qu’elle soit fertile.

Pourtant, elle accepte, part pour Venise, et s’apprête à dormir une nuit dans des conditions spartiates, en plein cœur de la Punta della Dogana, la « pointe de la douane », vaste et splendide bâtiment du XVIIe siècle désormais transformé en musée d’art contemporain.

Le parfum des fleurs la nuit
Le parfum des fleurs la nuit (Stock, 149 p.)

Mais, disais-je donc, ce livre n’est pas ce qu’il prétend. D’art contemporain, l’autrice en parle peu, très peu, et seule une poignée d’œuvres retiendra son attention. Elle dira d’ailleurs qu’elle n’y connait pas grand-chose, à l’art, et s’interroge par honnêteté avec le lecteur, sur ce qu’elle pourrait d’ailleurs bien en dire.

Non, l’écrivaine ne parle quasiment pas d’art, très peu de Venise, et tout aussi peu de la Punta della Dogana. Elle partage son ressenti, sa vision de l’écriture, témoigne de son rapport à l’écrit, intimement lié à son rapport au monde, de son identité complexe d’émigrée, de la double-identité devrais-je dire, qui s’accole à chaque personne née dans un pays et vivant dans un autre. Elle parle de son père, de la fin de sa vie noyée dans la mélancolie et le mutisme sobre, de son arabité, qu’elle a fuie par bien des côtés, et qu’elle aime aussi par tant d’autres. Elle parle de la complexité d’être soi, et rend compte de son expérience singulière d’autrice.

On regrettera peut-être que le texte regorge de tant de citations (certes pertinentes et bien amenées) : leur surabondance alourdit parfois la lecture et donne une impression de besoin démonstratif, à mon sens inutile.

Les passages sur l’écriture (nombreux) sont peut-être plus subjectifs, notamment ceux où Leïla Slimani nous explique que l’écriture est une sorte d’envoutement, d’abandon total, de sacrifice social. Difficile d’adhérer à cette idée lorsqu’on lit peu après qu’elle a tellement voyagé, qu’elle en oubliait parfois dans quel pays elle dormait le soir, au fond de sa chambre d’hôtel. Est-ce être sacrifié et isolé socialement que de courir le monde d’aéroport en aéroport ?

Mais ce point n’est pas essentiel. Le reste, ce qui rend compte de l’introspection, de la transcendance des blessures, de l’empathie de l’écrivain, tout cela semble parfaitement juste.

Enfin, on est touché par la sensibilité de la plume, par les mots justes qui jaillissent par endroits, sur la condition de femme dans ce monde qui lui est hostile (« Nous sommes du sexe de la peur », dit Despentes), et surtout, cette très belle réflexion sur la nature du peuple arabe, et son lien ancestral à la vie nomade.

La culture arabe et notamment la poésie sont imprégnées par le nomadisme, par le fait de vivre au jour le jour. Les paysages de sable et de vent, qui sont le berceau de la culture musulmane, nous rappellent sans cesse que l’homme se fourvoie lorsqu’il croit laisser des traces. […]

On me répétait […] cette phrase attribuée au Prophète Mohamed : « Sois dans ce bas monde comme un étranger ou un passant. Comme un voyageur qui fait une halte et compte ta propre personne parmi les gens des tombes. »

pp. 96/97

Un texte court, qu’on lira d’une traite, au cœur de la nuit.

Soumission, de Michel Houellebecq – une provocation creuse

Publié le 2 décembre 2020

Dans Soumission, Michel Houellebecq imagine l’arrivée au pouvoir d’un énarque musulman à la présidence de la république française, et avec lui, la transformation de notre pays en un monde islamisé.

« Une saisissante fable poétique et morale » nous dit l’éditeur après nous avoir promis un récit porté par la « force visionnaire de l’auteur ». La promesse est ambitieuse, et me concernant, n’a pas été tenue.

Soumission a été pour moi synonyme de déception.

Le thème m’a laissé froid du début à la fin et n’a finalement pas grand chose de visionnaire. On ne peut retenir qu’une idée : celle que les grands partis politiques traditionnels sont morts, et qu’aucun des deux (l’UMP et le PS), n’arrivera au second tour en 2017. Cela, Michel Houellebecq l’a vu, et c’est, je crois, le seul moment de clairvoyance de son récit.

Certes il met au centre de son intrigue l’irruption d’un islam politique en France, mais la réalité sera bien plus violente que la fiction qu’il a imaginée, et l’islam politique qui envahira la France, le jour même de la sortie du livre, n’aura rien de démocratique et d’électoral, ce sera un islam politique qui tue, qui assassine, qui massacre, qui terrorise. Rien à voir donc, avec le personnage de carton-pâte du roman, sorte de Macron arabe propret, charmeur et jouant le jeu démocratique occidental.

Michel Houellebecq cherche-t-il à dénoncer « l’islamisation » de la France avec ironie ? Ou avec sérieux ? Se sent-il sincèrement menacé, en tant que citoyen français, par un « Grand Remplacement » à l’œuvre ? Est-ce pour lui une façon inavouée de dire son rejet du monde arabe ?
Ce roman est-il un effroi qui ne dit pas son nom ? Peut-être. Une peur raciste et xénophobe qui se cache maladroitement dans une fiction peu convaincante ? À en juger par la vision qu’à l’auteur du monde musulman, on est en droit de le penser.

En effet, pour Houellebecq, si demain, en France, le Président de la République est musulman, alors en quelques mois, plus aucune femme ne se promènera dans la rue en jupe ou en robe, les hommes riches deviendront polygames et prendront pour épouses des filles de quinze ans à peine sorties de l’adolescence, et les universités seront privatisées par l’Arabie saoudite et le Qatar. Le livre regorge de clichés de ce type aussi ridicules qu’affligeants.

D’ailleurs, on croit trouver un aveu de l’auteur vers la fin du livre, quand le narrateur (un universitaire spécialiste de Huysmans) avoue qu’il ne connait finalement pas grand chose à l’islam.

Dans les remerciements, Houellebecq nous dit s’être documenté auprès d’une universitaire de Paris X — Nanterre pour rendre crédible son récit. Peut-être aurait-il fallu faire de même en se rapprochant d’intellectuels musulmans, d’auteurs et d’autrices, de penseurs, de philosophes, de poètes, de spécialistes du monde arabe. Ils et elles ne manquent pas. Cette absence cruelle de recul sur la question arabo-musulmane transpire de chaque paragraphe, de chaque scène, de chaque moment où Soumission s’enlise dans les préjugés racistes. Si ce texte peut réellement nous apprendre quelque chose, c’est bien que Michel Houellebecq ne connait rien ou si peu à l’islam et aux Arabes en général, que ce qu’il croit connaitre n’est qu’un amalgame de grossiers archétypes dignes d’une chronique avilissante d’Eric Zemmour.

Peut-être que tout ceci n’est qu’une grossière provocation volontaire de sa part, et qu’il ne croit pas lui-même à ce qu’il avance. Dans un sens, éspérons-le. Mais si ce n’est pas le cas, si réellement, en filigrane, se cache cette vision effrayée de « l’Arabe », alors, c’est très inquiétant pour quelqu’un qu’on qualifie ça et là de « plus grand écrivain français vivant ».

Certes, la plume est adroite, précise, et la construction globale cohérente. Le parallèle entre le narrateur et Huysmans trouve un écho fort dans la fin du récit, tout cela est habile.
On trouve par ailleurs des passages plaisants, parfois brillants et élégamment formulés. Mais ils sont rares et ne se manifestent que lorsque le narrateur cesse de fantasmer sur l’islam ou (et là, on atteint les abysses de l’art littéraire), sur le corps des femmes. Les plus beaux passages sont ceux sur la littérature, malheureusement très rares.

Autant que la littérature, la musique peut déterminer un bouleversement, un renversement émotif, une tristesse ou une extase absolues ; autant que la littérature, la peinture peut générer un émerveillement, un regard neuf porté sur le monde. Mais seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances ; avec tout ce qui l’émeut, l’intéresse, l’excite ou le répugne.

Ce magnifique éloge de l’art littéraire est peut-être une mise en garde, une notice pour appréhender ce qui va suivre. En effet nous allons rentrer en contact avec l’esprit de Houellebecq, et nous allons sentir, voir et toucher (jusqu’à l’écoeurement) ses petitesses, ses croyances et ses idées fixes. Malheureusement, assez peu ses marques de grandeur.

Dans Soumission, tout est fait pour prôner (là encore, je le crois, par provocation) l’idée qu’une femme doit être… soumise. Une apologie du patriarcat introduit le propos au début du livre. Les femmes n’ont aux yeux du narrateur (de l’auteur ?) que deux rôles possibles : celui de la femme-fille, pour les plaisir de la chair, et celui de la « femme pot-au-feu » pour ceux de la chère.

L’idée du livre semble être que le bonheur est accessible à celui qui se soumet, celui qui abandonne la lutte, qui rend les armes. La femme, en s’abandonnant à l’homme, l’homme à Dieu. Ainsi, par cet abandon, par cette soumission volontaire, on se déleste des responsabilités contraignantes de la vie, on s’en remet à une puissance qui nous domine, et la vie est plus douce.

Peut-on réellement croire à pareille idiotie ? Peut-on réellement, sincèrement, écrire cela en se disant qu’une femme soumise à son mari est plus heureuse parce qu’elle n’a pas de responsabilités ? Et quand bien même cette femme serait reléguée à son rôle de femme-au-foyer, n’aurait-elle pas, finalement, une myriade de responsabilités dans cet univers-là ?

J’ai du mal à comprendre ce que l’auteur a cherché à faire avec ce texte. Je n’arrive pas à croire qu’il pense réellement que cette thèse est pertinente, je n’arrive pas à y voir autre chose qu’une provocation mercantile. Sur le plan des idées, cette thèse, qui est, rappelons-le, la colonne vertébrale du roman, est strictement stupide, ou pour reprendre une des expressions tirée du livre : à chier.

Enfin, la déception qu’on ressent à la lecture ne fait que s’amplifier lorsqu’on tombe sur les scènes pornographiques qui jalonnent le récit. Il s’agit d’une pornographie crasse, sans une once d’érotisme ou d’élégance, tout est fait ici, chaque mot est choisi, pour choquer le lecteur et susciter un relent de dégout. Quant à la crédibilité, elle est également totalement absente de ces passages.

Songez par exemple à cette scène, qui aurait pu me faire éclater de rire si je n’étais pas à ce point dépité par le niveau affligeant dans lequel Houellebecq s’autorise à sombrer : Myriam, une étudiante de 22 ans, amante du narrateur (qui lui est professeur d’université et a une quarantaine d’années) arrive chez lui pour dîner…

Elle avait mis une autre minijupe noire, encore plus courte, et portait des bas. Lorsqu’elle s’assit sur le canapé je distinguais l’attache du porte-jarretelles, noire, sur le haut de sa cuisse très blanche. Son chemisier, noir lui aussi, était complètement transparent, on voyait très bien ses seins bouger.

Je vous épargne la suite où Myriam, après avoir écarté spontanément ses cuisses et exhibé son pubis à la manière de Sharon Stone dans Basic Instinct, va littéralement sauter sur le narrateur telle une succube dévorée par le désir sexuel…

Rien que cette entrée en matière est aussi peu crédible que le scénario d’une mauvais film porno. Comment adhérer à l’histoire, rentrer dans le récit, quand les personnages, quand les femmes, sont aussi peu crédibles que des marionnettes animées par les seuls fantasmes de l’auteur ? Personnellement, je n’y arrive pas.

Je ne sais pas s’il est juste de considérer Houellebecq comme le meilleur écrivain français vivant, mais je suis sûr d’une chose : Soumission n’a rien d’un grand roman de littérature, il est tout au plus, une provocation raciste et misogyne finement travaillée, et peu convaincante.

Un homme, de Philip Roth

Publié le 1 octobre 2020

À quoi reconnait-on un grand roman ? Difficile de répondre à cette question tant il existe de variations et de nuances dans l’art littéraire. Une chose est sûre, ce n’est pas à la longueur du texte que la puissance d’un récit se mesure. On pourrait citer L’étranger, de Camus qui sur ce plan est un chef d’œuvre (et sur tant d’autres!), mais j’ai découvert récemment une autre pépite que je n’hésite pas à considérer comme frappée du même sceau, celui de la justesse des mots, portée à son paroxysme.

Un homme, 192 pages (Folio, 2019)

Un homme, ou Everyman, dans son titre original, est autant un roman déroutant qu’une leçon de littérature. Ne cherchez pas l’intrigue, il n’y en a pas. Ne cherchez pas le mystère, il n’y en a pas. Ne cherchez pas le plan savamment ciselé et les rebondissements, il n’y en a pas. Ne cherchez pas l’extraordinaire, il n’y a que du banal dans ces lignes.

Et pourtant.

Et pourtant ce roman est une gifle, un éclair de vérité qui vous aveugle à mesure que les pages se tournent.

C’est l’histoire d’un homme, d’un être, pourrait-on dire, et des cicatrices qu’il a accumulées avec les décennies. L’histoire de ses erreurs, de ses défauts. Car cet homme est comme vous et moi, il est imparfait, rugueux, maladroit, et, évidemment, humain.

Son humanité, son corps. Voilà le terreau de ce texte qu’on dévore sans y penser. La violence du corps, l’inéluctable pesanteur du temps, le massacre de la vieillesse. Les regrets qui s’engouffrent dans les brumes de notre passé.

Au bout du compte, il faut prendre la vie comme elle vient, on ne peut pas réécrire l’histoire.

Un homme, de Philip Roth, est livre lumineux qui déborde de sagesse et de vérité, il faut le prendre comme il vient, et se laisser bercer par cette voix si présente, cette voix d’un sage qui, en regardant la décrépitude du corps, nous raconte les cicatrices de l’âme, nos propres cicatrices.

Un texte court, un livre immense.

Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction, d’Emmanuel Glais

Publié le 18 février 2020

Un après-midi d’août en 2019, alors que je profitais du rayonnement puissant du soleil en Sardaigne, sur la terrasse d’une petite maison de location, avant de repartir à quelques kilomètres de là sur une crique presque sauvage, je laissais mon pouce gesticuler comme à son habitude sur l’écran lisse de mon smartphone.

Le défilement des tweets provoquait en moi un ramollissement de la cervelle – déjà bien entamé par la chaleur méditerranéenne – duquel je n’arrivais pas à m’extraire. Ma passivité intellectuelle extrême devant cet état léthargique (trop habituel et ordinaire à mon goût) était à deux doigts de me pousser à verrouiller l’appareil et à le jeter d’un geste exaspéré sur la table plastique de la terrasse, quand je suis tombé, je ne sais comment, sur un tweet qui capta mon attention.

C’était un thread : je rebondissais d’un aphorisme à l’autre, accroché par les tournures élégantes, le style incisif et la voix particulière que j’entendais en lisant ce texte.

PREMIER TRIMESTRE, dernier fil

Encore un lundi pour rien. Trop de gens qui n'ont rien pour moi se confient sur leurs problèmes de téléphones intelligents. Même les vieux s'y mettent. Ils pestent contre l'obsolescence précoce d'engins qui coûtent deux fois le minimum vieillesse.

— Lipogramme en A (@ALipogramme) September 5, 2019

Bientôt, j’avais lu l’équivalent d’une micronouvelle habilement ciselée en tweets. L’ensemble n’en était que plus percutant. Intrigué, et admiratif devant l’idée, je me suis intéressé au compte derrière ce corpus disséminé sur le réseau social. Je découvris alors qu’Emmanuel Glais, l’auteur, avait produit tout un manuscrit et qu’il cherchait un éditeur.

Comme une cohorte massive d’aspirants et d’aspirantes auteur(e)s, il se heurtait à la violence froide et silencieuse des refus en cascades.

J’ai donc rencontré Emmanuel Glais sur Twitter, cet été 2019. Nous avons commencé à échanger, à parler de la difficulté de se faire éditer une première fois, et de fil en aiguille, la confiance s’installa, et Emmanuel me fit la gentillesse de m’envoyer son manuscrit sous une forme complète et plus lisible que ses threads Twitter.

Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction raconte le quotidien d’un jeune homme esseulé, Hubert-Félix qui aspire à trouver sa voie dans une société qui lui échappe, dans un quotidien dans lequel il ne se reconnait plus, ou si mal.

Quasi Lipogramme en A-minor, ou la reproduction (couverture)
La réintroduction, Emmanuel Glais — Couverture, éditions Maïa

C’est décidé, il va se lancer, et créer une activité qui conjugue utilité sociétale, engagement éthique et convictions personnelles : Hubert-Félix va collecter les appareils électroniques oubliés chez ses voisins, et compte ainsi créer une économie salvatrice qui, d’une part contribuera à créer un cercle vertueux autour de lui, et d’autre part, accessoirement, lui permettra de vivre.

L’idée est noble, mais est-elle efficace, est-elle productive, au sens moderne : permettra-t-elle au narrateur de ce journal de bord de gagner sa vie ? L’écoresponsabilité porte-t-elle un réel pouvoir de développement économique ? Rien n’est moins sûr.

Cette initiative sert de prétexte idéal à l’auteur pour promener son personnage d’habitations en habitations, et nous permet ainsi de nous faire découvrir une galerie de portraits. Tel un anti-VRP, Hubert-Félix frappe aux portes, sonne, s’introduit, du mieux qu’il peut dans le quotidien de ses voisins. Il collecte, difficilement, les appareils jadis luxueux, aujourd’hui poussiéreux, et sert de catalyseur à l’observation de la vacuité omniprésente de notre société de surconsommation. Un produit en chasse un autre, nourrissant le trou noir éternel et insatiable de la pollution humaine. Hubert-Félix, vaillante goute d’eau bien dérisoire face au torrent de merde que nous générons tous, auquel nous contribuons tous, complices serviles des Black Fridays, des soldes, des fêtes de Noël et autres promotions d’été, nous renvoie à la question qui me semble être celle de notre génération : exerçons-nous un métier porteur de sens, en adéquation avec nos convictions personnelles ? À l’heure où la très grande majorité des métiers qu’on nous propose servent directement ou indirectement à accroitre la puissance dévorante du consumérisme, comment se situer, comment revenir au concret, à l’utile, au profond ? Est-ce seulement encore possible ?

Cette histoire est celle de la vanité du panache écoresponsable, de la beauté du geste, une injonction à réfléchir un instant sur la possibilité (ou non), de s’intégrer dans un monde qu’on voudrait fuir.

Cette mission semble être la seule quête qui intéresse encore le narrateur, lui plus seul que jamais, vient de quitter sa compagne, et s’étonne de l’acceptation douce de cette dernière face à son envie de rupture.

Nos coprs ne se mêleront plus, et donc ? Nos bouches éviteront dès lors de se communiquer des gentillesses un peu forcées. Je me sens libéré d’un poids. Plus de SMS stupides, plus de soirées chez ses copines, plus besoin de montrer d’intérêt pour ses bouquins de science-fiction… ni de mimer le big love chez Burger King.

Un décalage profond habite le héros avec son environnement, au point que même ses parents, dans une scène puissante qui surprend, amuse et intéresse le lecteur, se retrouvent à leur tour exclus, d’une manière inattendue, du référentiel du narrateur. Seul, face à ses convictions, perdu dans la jungle du quotidien, Hubert-Félix devra trouver un sens à son intégration sociale, et peut-être retrouver sa place parmi ses semblables qui lui semblent si étrangers, tous autant qu’ils sont.

Emmanuel signe un roman au style enlevé, claquant, aux tournures précises. Une lecture agréable, rafraichissante, assurément originale.

On sent que l’auteur est un amoureux du style, et peut-être, le devine-t-on amateur de l’Oulipo et de ses contraintes, car le texte de La réintroduction est écrit sans la lettre A sur la majeure partie de son corpus. Un joli tour de force, qui contribue certainement à ce style si particulier, à la tonalité de cette voix qu’on entend encore, lorsqu’on termine la lecture des aventures ordinaires et extraordinaires d’Hubert Félix.

Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction est le second roman d’Emmanuel Glais, publié aux éditions Maia.

D’Alep à Paris, le voyage d’un Syrien sous Louis XIV

Publié le 11 février 2020

Laissez-moi vous conter la véritable histoire d’un Syrien fort sympathique venu d’un autre temps qui partit d’Alep et arriva à la cour de Louis XIV. Je veux vous parler de Hanna Dyab (حنا دياب) qui au dix-huitième siècle se retrouva domestique-traducteur de Paul Lucas, émissaire du roi Louis XIV en Orient.

D'Alep à Paris
D’Alep à Paris

Hanna est un « homme ordinaire », Chrétien maronite vivant à Alep, il devient novice chez les moines avant de se rendre compte que les ordres ne sont pas faits pour lui. Par hasard, il rencontre un Français, Paul Lucas, envoyé par le roi de France en Orient pour y collecter des richesses du Levant et les présenter à la cour.

Hanna parle français et arabe et s’avère être le parfait traducteur pour l’émissaire du « Sultan de France » pour le citer. Il devient donc le fidèle serviteur du Français et l’accompagne dans ses péripéties. Il tient un journal (ou plus exactement, le rédige à la fin de sa vie, vraisemblablement).

Le livre D’Alep à Paris est la traduction richement documentée du manuscrit original de Hanna, archivé dans la bibliothèque vaticane. Le manuscrit est rédigé en arabe dialectal levantin et non en « fossha » (l’arabe littéral), ce qui montre que Hanna est quelqu’un d’ordinaire et non un lettré. C’est en cela, d’après Bernard Heyberger, que le texte est intéressant : il n’y a point d’envie de briller ni d’enjoliver de poésie le récit, nous avons ici le journal de voyage d’un jeune Syrien qui part découvrir le monde, d’Alep à Paris.

C’est par ce témoignage qui traverse les siècles que ce texte capte l’intérêt. Le style est bien sûr daté et parfois un peu lourd, mais on ne s’arrêtera pas sur la forme mais plutôt sur le fond.

Quel plaisir de découvrir Paris par les yeux de Hanna, en 1709 ! Paris brille déjà de milles feux à l’époque, grâce aux milliers de chandelles déployées dans la ville. Les bâtiments s’alignent à perte de vue, Hanna n’a jamais vu une ville aussi grande.

Et que dire de son arrivée à Chypre, et du choc qu’il ressent lorsqu’il voit pour la première fois de sa vie de la viande de porc, et des femmes non voilées qui vendent du vin dans la rue. A son époque, les femmes chrétiènnes et musulmanes sont toutes voilées, et la viande de porc est interdite (tout autant pour les chrétiens que pour les musulmans). Mais à Chypre, bien que sous l’empire Ottoman depuis plus d’un siècle, il n’en est rien !

Assurément, à vivre les pérégrinations de Hanna de la Syrie à la cour du roi à Versailles, on voyage, aussi bien dans le temps que dans l’espace.

Un magnifique témoignage qui donne un recul certain de nos jours sur la question de l’immigration, du rapport Orient/Occident et de l’échange culturel entre ces deux régions.

On notera que si Hanna fait très souvent référence à son « maître » Paul Lucas, de son côté, le français ne mentionne jamais son traducteur-domestique arabe. Un signe qui en dit long sur le rapport de force très déséquilibré entre ces deux régions, déjà à l’époque.

Bernard Heyberger a été interviewvé sur France Culture à propos de ce travail. Il est également passé sur TV5 Monde et y présente le livre.

Le chaos syrien

Publié le 29 décembre 2019

Randa Kassis et Alexandre del Valle nous proposent dans ce livre un essai richement documenté et abondamment nourri par une connaissance approfondie de la Syrie.

Le chaos syrien – couverture

Bien qu’il soit impossible d’être neutre sur la situation géo-politique du pays, les auteurs cherchent à proposer un éclairage objectif sur les raisons du conflit, sur la nature immensément diverse des protagonistes, sur leurs intérêts et motivations, et sur une possible stratégie pour sortir de la crise humanitaire syrienne.

On appréciera particulièrement les éléments qui permettent de mieux comprendre la nature de chaque minorité syrienne, notamment celle des Alaouites, dont est issu le régime de Damas. On y apprendra qu’il n’y a rien de plus erroné que de considérer « les Musulmans » comme un tout uniforme et homogène. Comprendre l’histoire et l’origine des Alaouites, c’est mieux cerner le terreau des divisions qui conditionnent la Syrie d’aujourd’hui.

La thèse des auteurs prône un dialogue global avec toutes les minorités syriennes et la majorité sunnite, l’arrêt des conflits armés, et milite pour une réorganisation de l’état Syrien sous une forme fédérale, en conservant le parti Baath au pouvoir mais avec le départ de Bashar al-Assad, afin de garantir la meilleure stabilité possible au pays ; seule option possible selon les auteurs pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve.

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L'apparition de l'oubli - Couverture
Premier roman

L’apparition de l’oubli

Page officielle du roman L'apparition de l'oubli d'Alexis Sukrieh. À peine quelques heures après sa mort, une nouvelle…

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