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Alexis Sukrieh
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Alexis Sukrieh

Anne Rice et le mythe du Vampire

Posted on 23 octobre 20192 mars 2022

Dans son roman Entretien avec un vampire, Anne Rice ne se contente pas de nous offrir une oeuvre profondément romantique et baroque, elle revisite le mythe du vampire en le rendant aussi crédible que possible. Ce roman, publié en 1976, est un très bel ouvrage littéraire qui explore des questions profondes telles que l’effet du temps sur nos vies, l’amour impossible, le carcan corporel ou encore, les notions très relatives de bien et de mal.

Un roman sur le monde de la tech, une plongée au cœur des GAFA

Lors d’un séminaire informatique organisé par Amazon… Tous ces geeks sont excités, fiers d’être là, aux premières loges. Pas Alban. Il les regarde, ses semblables, et s’enfonce dans des pensées amères.

Voir le livre

Nous menions une vie à la fois cossue et rustique, là-bas. Et cela nous satisfaisait pleinement. Voyez-vous, nous n’aurions jamais pu être aussi bien lotis en France. Peut-être cette impression était-elle simplement due à l’aspect absolument sauvage de la Louisiane, mais toujours est-il que c’était ce que nous éprouvions. Je me souviens du mobilier importé qui encombrait la maison, dit le vampire en esquissant un sourire. Et le clavecin, quelle merveille. C’est ma sœur qui en jouait. Les soirs d’été, elle s’installait au clavier, le dos aux portes fenêtres grandes ouvertes. Et je me rappelle encore cette mélodie rapide et délicate, et le marais qui s’étendait derrière elle, les cyprès avec leurs branches chargées de filaments de mousse qui se découpaient dans le ciel et paraissaient flotter.

Entretien avec un vampire (Pocket, 510 pages)
Entretien avec un vampire (Pocket, 510 pages)

Le pitch

Une nuit à San Francisco, de nos jours, dans un appartement plongé dans l’obscurité, un homme active un enregistreur audio. La silhouette qui se tient en face de lui commence à parler. Le visage est si pale, si immobile, qu’il lui évoque l’aspect d’une statue de marbre, un teint cireux, parfait, lisse… 

Telle une statue animée, le vampire qui répond au nom de Louis commence à raconter son histoire. Tout débute à la Nouvelle Orléans, dans une exploitation de coton. Louis était alors un riche propriétaire (d’esclaves notamment). Il sera fait vampire par Lestat, qui convoite ses richesses et son opulence…

Le récit

Bien qu’un narrateur omniscient nous plonge dans l’histoire, la plupart du roman prend forme à travers le regard de Louis.

Le roman est donc construit dans un très long monologue (environ 500 pages dans l’édition de poche), qui, par la voix de Louis, raconte la vie de vampire qui a été sienne. De temps en temps, la narration cesse et le narrateur omniscient reprend ses droits, on observe alors la scène dans l’appartement, et on voit la peur, surtout, dans le regard de l’homme qui enregistre l’entretien, sa fascination aussi, peut-être.

Mais ces interludes sont peu nombreux et courts : Louis reprend inlassablement le fil de son histoire et il nous livre un témoignage plein de noirceur et de poésie. Il nous raconte son histoire, et celle de Claudia, enfant de cinq ans qu’il a transformée en vampire sous l’influence de Lestat, alors qu’elle pleurait nichée dans le cadavre de sa mère, victime de la peste.

Quelle image puissante que celle de l’enfant immortel, condamné à vivre dans un corps immature pour l’éternité, tandis que l’esprit, lui, vieillit ! Claudia a la sagesse d’une femme de soixante ans, mais le corps d’une fillette de cinq ans, elle n’aura jamais accès à l’autonomie, à la force, à la liberté, à la sensualité du corps d’une femme adulte. Plus que pour tout autre personnage de l’histoire, son corps est une prison, un cercueil.

Claudia (Kristen Dunst), Louis (Brad Pitt) et Lestat (Tom Cruise) dans le film Entretien avec un vampire sorti en 1994.
Claudia (Kristen Dunst), Louis (Brad Pitt) et Lestat (Tom Cruise) dans le film Entretien avec un vampire sorti en 1994.

La mise à mort des clichés sur les vampires

Dans Entretien avec un vampire, Anne Rice décape le mythe du vampire, elle le purifie de tous les clichés habituels issus de Dracula, l’oeuvre de Bram Stoker fondatrice du mythe dans la culture populaire.

On notera que seulement un an plus tôt (en 1975), Stephen King publiait Salem, et proposait lui aussi un roman qui plaçait le mythe du vampire dans un contexte moderne.

Il faut reconnaître que King aura été bien moins habile que Rice sur ce point : on sera bien plus envouté par Louis, Armand et Lestat, tels qu’ils sont décrits par Rice, notamment du fait de leur grand réalisme et de la profondeur de leur sensibilité, que par l’ersatz de Dracula que King a copié-collé dans son roman d’horreur (n’en déplaise aux fans du maître Stephen, que je salue par ailleurs).

En effet contrairement à King, Anne Rice a eu l’intelligence de véritablement moderniser le mythe du vampire, et c’est ce qui confère un intérêt si particulier à son roman : oubliez l’ail, les crucifix, les pieux dans le coeur et l’eau bénite… Dans le monde d’Entretien avec un vampire, tout le folklore disparait, seuls les particularités organiques subsistent :

  1. le vampire souffre d’une photosensibilité extrême : incapable de supporter la lumière du soleil, il meurt s’il s’y expose.
  2. le corps du vampire ne vieillit pas, son aspect est spectral (peau lisse et cireuse, yeux brillants, corps froid) et il n’est plus soumis aux causes de mort naturelle (il cicatrise et guérit de tout). La seule cause de mort possible est l’exposition au soleil ou la destruction de son corps, notamment par le feu.
  3. pour se nourrir, le vampire a besoin de boire du sang prélevé directement sur un être en vie (animal ou humain).

Cette façon de traiter la question rend le mythe presque crédible, du moins bien plus que s’il s’agissait d’une créature démoniaque qui serait terrifiée à l’idée d’être exposée à un crucifix ou une gouttelette d’eau bénite !

Derrière cette base « crédible », cartésienne presque, Anne Rice confère à ses personnages (et surtout à Louis et Claudia) une personnalité très riche, hantée par des questions existentielles qui découlent de leur condition. Les vampires deviennent donc des catalyseurs de l’introspection du lecteur sur des thèmes universels : la mort, l’amour, la vieillesse, le temps qui passe.

Un style évocateur

La plume d’Anne Rice pénètre l’esprit du lecteur avec aisance et nourrit des évocations limpides dans l’imaginaire. On voit les scènes, on entend presque les gouttes de pluie qui tombent au dehors, tandis que Louis observe la nuit éclairée par une lune blanche. A de nombreuses reprises, l’envie de surligner des descriptions s’impose, tellement elles capturent bien l’atmosphère d’une scène.

Loin dans la nuit parisienne, une cloche a sonné. Les faibles ondes sonores et dorées semblaient pénétrer les murs, et les poutres transmettaient leur vibration tout en bas, dans la terre, comme de grands tuyaux d’orgue. J’ai encore perçu le chuchotement, ce changement inarticulé. Et, à travers l’obscurité, j’ai remarqué le garçon mortel qui m’observait, j’ai senti l’arôme chaud de sa chair.

Une profonde mélancolie se dégage du personnage de Louis, ainsi qu’une grande passivité face à son sort : la plupart du temps, il se contentera d’observer ce qu’il advient de son existence, il suivra ou fuira, mais il prendra rarement l’initiative. 

Le rythme du récit est lent, mais cela ne gêne en rien la lecture puisque les réflexions nombreuses de Louis permettent de pénétrer au plus profond de sa pensée. 

Vampires, sensualité et sexualité

Par bien des passages, Anne Rice évoque le désir charnel, parfois de manière très déroutante, notamment quand la relation Louis-Claudia est abordée.

On comprend que le lien très intime qui les unit est de nature amoureuse par bien des aspects. Louis est-il son amant ? La question lui est posée, il répond : « Non, disons que je suis plutôt son père. » Mais plus tôt dans le récit, il dit : « père et fille, amant et amante »… L’ambiguïté demeure, comme par exemple, quand Claudia l’embrasse, après lui avoir déclamé tout l’amour qu’elle éprouve pour lui. Rappelons-le : Louis a le corps d’un homme de 25 ans, Claudia de 5…

Si l’autrice veut nous choquer, assurément, ici, elle y parvient.

De même, une scène renforce cette gêne suscitée par l’idée d’un caractère pédophile chez les personnages vampires, comme celle où, à Paris, Louis rencontre Armand, le plus vieux des vampires connus – il aurait plus de quatre cents ans. Ce dernier est accompagné d’un « jeune garçon » qui semble répondre à toutes ses attentes (la situation est déjà très dérangeante en soi). Mais le malaise ne s’arrête pas là : le garçon, visiblement sous l’emprise hypnotique du vampire, offre son cou à Louis, consciemment. Ce dernier (excité par le sang et la chair chaude) constate la présence de deux petites ecchymoses, comme deux piqures d’aiguille, et comprend qu’Armand maintient en vie le garçon pour prolonger le plaisir de se nourrir de son corps. Quand Louis cède à l’envie (irrésistible) de planter ses incisives dans la chair tendre du jeune garçon, il sent « la raideur de son sexe se presser contre sa jambe ».

Par ces quelques scènes, Anne Rice nous plonge donc dans un monde où les frontières de la morale s’effacent. Le texte ne va jamais plus loin que ces évocations, aucun acte sexuel n’est décrit, mais on comprend qu’entre les lignes, des ébats inavouables ont lieu.

L’homosexualité est également très présente dans le caractère de Louis, on la remarque notamment dans la relation avec Armand, pour qui Louis ressent une attirance sexuelle et amoureuse explicite.

Les personnages féminins sont d’ailleurs assez rares, et si l’on exclut Claudia, à quelques exceptions mineures près, Louis n’a d’yeux que pour les hommes et les garçons.

Le plaisir du vampire qui se nourrit du sang de ses victimes est ainsi associé systématiquement à des désirs sexuels et charnels sans frontières nettes, des désirs aussi bien hétérosexuels qu’homosexuels, mais aussi par moments, assimilables à des penchants que la morale réprouve.

Un roman baroque avant tout

A travers son histoire, Louis nous dit toute l’étendue de son tourment, il nous dépeint toute la douleur de « vivre » sous l’emprise de ce corps immortel, immuable, dans un environnement en perpétuel mouvement.

Aussi sûrement que cette chair est rose en cet instant, elle deviendra grise et ridée avec l’âge, a-t-il insisté.

N’est-ce pas là aussi une métaphore de notre condition ? Nous aspirons à chérir les instants joyeux, à les conserver et les garder auprès de nous. Rester dans les lieux et les moments qui nous plaisent, qui nous réchauffent le coeur, auprès des proches qui nous sont chers, et ne jamais rien perdre de ce qui compose ce que nous aimons. Mais rien n’est plus voué à l’échec qu’un tel désir : tout, ici bas, disparait.

Tel le mot qui se fond dans l’oubli sitôt prononcé, notre vie elle-même ne cesse de s’effacer, à mesure que les jours passent. Il en va de même pour ce qui nous entoure, la nature même du vivant et de disparaitre.

Ainsi, le corps du vampire est la métaphore de notre envie de mettre le monde en pause, de figer le temps, mais alors qu’on aspire au bonheur éternel en fantasmant à cette possibilité, on comprend qu’on ne trouverait qu’un enfer.

Figer le temps, c’est mourir, c’est se placer en dehors du monde. Accepter le changement, telle est la nature du vivant, nous montre Entretien avec un vampire.

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Une immersion dans le monde de la tech, une plongée au cœur des GAFA

Dans ce séminaire informatique organisé par Amazon, tous ces geeks sont excités, fiers d’être là, aux premières loges. Pas Alban. Il les regarde, ses semblables, et s’enfonce dans des pensées amères.

Disponible en Kindle et livre broché (341 pages).

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