American Psycho est un roman qui ne laisse pas indifférent. Il vous plonge dans la tête d’un homme dénué de morale et blasé par l’opulence de sa vie. Aurez-vous la force de suivre Patrick Bateman jusqu’au bout de sa névrose ?
Dans White, Bret Easton Ellis mentionne très souvent American Psycho, le roman qu’il a publié en 1991 et qui a connu un succès retentissant. Beaucoup connaissent l’adaptation cinématographique dans laquelle Christian Bale incarne avec brio Patrick Bateman, mais on parle moins du roman qui est à l’origine de ce film. Je vous propose ici de partager mes impressions sur cette lecture dont on ne sort pas indemne.
Le pitch
Nous sommes dans les années 90, les deux tours se dressent toujours dans Manhattan, Donald Trump est un jeune homme d’affaires déjà célèbre (sa Trump Tower a été inaugurée il y a quelques années à peine) et Patrick Bateman, le narrateur, est un golden boy richissime parmi d’autres. Il travaille dans un des nombreux gratte-ciels de New York au sein d’une firme qui opère des fusions-acquisitions d’entreprises (on n’en saura pas plus sur l’objet réel de son travail, s’il travaille seulement).

À travers un journal glaçant qui relate des morceaux choisis de ses journées, nous découvrons un homme qui glisse sur la vie et que plus rien ne touche. Tout est insipide, plus rien n’a de gout, pas même les plats les plus travaillés qui rivalisent d’originalité dans les (nombreux et chers) restaurants de Manhattan où Bateman se rend (presque chaque soir).
Le monde qui l’entoure est tellement fade que tous ces golden-boys se confondent les uns les autres, ils sont tous les clones de leur voisin : cheveux laqués, costume Armani, corps musclé, cartes de visite sur papier épais… Le culte de l’apparence est tel que la personnalité s’est fondue dans le miroir des mondanités. Est-ce Chris ? Ou Tim ? Ou Ed ? Mais non, c’est Dave, là, à la table à gauche du bar. Mais oui, c’est David, j’en suis certain.
Patrick Bateman passe ses journées à prendre soin de son corps, à se muscler et à prévoir dans quel restaurant il ira dîner le soir avec ses collègues. Il a une petite-amie, mais sa relation est aussi creuse que le reste, il voit d’autres filles, beaucoup d’autres, et cela n’a pas grande importance. Sa vie et son quotidien ont tellement perdu de saveur qu’il commence à rêver de sang, de tuerie, de meurtre. Il le dit, mais personne ne l’entend. Personne n’entend ni ne voit rien, dans ce Manhattan aveuglé par l’argent.
Jusqu’où ira Bateman ? Qu’avons-nous en nous de Bateman ? L’argent finit-il par dissoudre le gout de tout ?
American Psycho raconte le gouffre du capitalisme, il annonce la fin du jeu.
Le style littéraire
L’originalité du roman frappe dès les premières pages : tout est raconté à la première personne, au présent, sous la forme d’un dialogue continu. Une scène commence au restaurant, une demi-douzaine d’hommes se parlent autour de la table, à travers les yeux et les oreilles de Bateman, nous suivons la discussion. Tout s’enchaine. Les descriptions ne sont là que pour enrichir le dialogue, que pour décorer la scène.
La première image qu’on a en tête en lisant American Psycho, c’est qu’on « lit un film ».
Il en résulte une lecture fluide, rythmée qui nous plonge avec force dans la vision atrocement froide du narrateur. Nous voyons, entendons et pensons comme lui, et cet homme est malade, très malade. American Psycho, c’est la plongée dans l’esprit d’un psychopathe, effectivement.
Bien que le livre fasse environ 500 pages (édition de poche), il n’y a pas de chapitres. Le récit s’articule autour d’une succession de scènes titrées. « À la salle de gym », « Au restaurant », « Les fous d’avril », etc.
À mesure que la lecture avance, on finit par se demander ce qui se passe entre ces scènes, on imagine les non-dits, et c’est là toute la force du récit : le cerveau du lecteur commence à combler les trous, et alors que les pages se tournent, des réponses s’esquissent. Il se passe bien des choses qui ne sont pas consignées dans le journal… jusqu’à ce que…
Ce que j’ai moins aimé
Le seul reproche que je ferai à cette œuvre (même si ce roman reste une lecture majeure) c’est une certaine longueur, une lourdeur parfois, provoquée par l’accumulation répétée de scènes peut-être trop similaires. Il y a notamment ces passages où Bateman (Ellis ?) nous livre de longues analyses et critiques musicales, comme par exemple celle sur Phil Collins. Je n’ai pas trouvé ça d’un grand intérêt (six pages là-dessus, est-ce nécessaire ?), mais surtout, j’ai trouvé la chose assez pénible à lire.
J’aurai préféré un texte un peu plus court (peut-être 100 pages de moins), on a parfois l’impression que les scènes se répètent inutilement. Mais ce bémol n’entache en rien la puissance de ce livre, qui reste unique en son genre, et assurément, un monument de la littérature du XXe siècle.
Une citation qui résume le livre
Ce passage comprend pour moi le condensé de ce qui rend American Psycho remarquable : il y a ici l’idée que toute forme de personnalité a disparu, que personne ne s’écoute, que tout est fade, que l’amour des corps se fond dans celui du matérialisme, que rien ne compte sinon l’apparence, et tout cela est porté par un style simple, cinglant, percutant, efficace, construit adroitement autour d’un dialogue.
— Il est riche, dis-je.
— Tout le monde est riche, dit-elle, le regard rivé sur l’écran.
— Il est séduisant, dis-je.
— Tout le monde est séduisant, dit-elle, d’une voix lointaine.
— Il a un corps superbe, dis-je.
— Tout le monde a un corps superbe, de nos jours, dit-elle.
Je pose mon verre sur la table de chevet et roule sur elle.
Tandis que j’embrasse et lèche son cou, elle fixe un regard passionné sur le récepteur grand écran Panasonic à télécommande, et baisse le son. Je relève ma chemise Armani et pose sa main sur mon torse, pour qu’elle palpe cette dureté de statue, cet admirable sillon des abdominaux, et je bande mes muscles, heureux que la pièce soit éclairée, car elle peut ainsi voir combien mon ventre est à présent bronzé et finement sculpté.
Ce qu’on retient de cette lecture
Ce roman ne laisse pas indifférent. Bret Easton Ellis explique dans White que lorsqu’il a fait lire son manuscrit à son compagnon de l’époque, celui-ci, après avoir lu une vingtaine de pages, lui a dit qu’il allait « avoir des problèmes ». Et on comprend pourquoi. Il y a dans ce texte de l’humour, de la brillance, de la fulgurance, mais aussi de la pornographie crue, chirurgicale, analytique parfois, et du gore. Des scènes d’une violence rare, tellement atroces dans leur description qu’on finit par s’en détacher, tellement les faits énoncés sont impossibles, inimaginables, révoltants.
C’est d’ailleurs frappant quand on (re)voit le film après avoir lu le livre : American Psycho est impossible à adapter fidèlement à l’écran, même aujourd’hui, en 2019, ça reste impossible. C’est tout simplement trop violent, trop gratuit, trop atroce pour être filmé. Et c’est la je crois, une belle démonstration de la puissance de la littérature.
Le film, malgré la prestation magistrale de Christian Bale, reste un pâle teaser du roman, tout au plus : tout y est raconté en accéléré, sans rentrer dans les détails, et surtout, sans montrer le pire, sans jamais montrer la réalité horrible de ce qui se passe dans ces lignes admirablement bien ciselées.
Vous avez apprécié cet article ? Découvrez GAFA Succubat, mon dernier roman.
Une immersion dans le monde de la tech, une plongée au cœur des GAFA
Dans ce séminaire informatique organisé par Amazon, tous ces geeks sont excités, fiers d’être là, aux premières loges. Pas Alban. Il les regarde, ses semblables, et s’enfonce dans des pensées amères.
Disponible en Kindle et livre broché (341 pages).